Bacon et le choc de l’excitation

Plus j’avance dans l’approche du travail de Francis Bacon, plus m’apparaît comme s’imposant  — au-delà de sa peinture, au-delà des propos tenus sur ou par lui — son corps. Le corps de l’artiste. A découvrir un artiste, à me laisser prendre par lui, ce qui me touche, à côté de sa création, c’est ce qu’il dit de son corps, des sensations qu’il éprouve dans le corps, de … Continuer de lire Bacon et le choc de l’excitation

Paul Celan. Todesfuge. Le Méridien.

Paul Celan, Todesfuge I Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts wir trinken und trinken wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete er schreibt es und … Continuer de lire Paul Celan. Todesfuge. Le Méridien.

Sainte Thérèse d’Avila, Le livre de la vie, séance 2

Nous poursuivons avec sainte Thérèse d’Avila.

Nous poursuivons avec elle, en nous appuyant sur ce que Lacan dit d’elle dans Encore.

Au moment où il s’agit de distinguer la jouissance féminine de la masculine, il recourt aux mystiques.

Les hommes par définition, jouissent de l’autre, d’une femme, du corps d’une femme, en tant qu’il l’ont réduite à un objet, en tant qu’elle recouvre et est supportée par un objet pulsionnel, en tant qu’elle active cet objet. Un homme ne jouit pas s’il n’y a pas cet objet.

Lorsque Lacan distingue la jouissance féminine de la jouissance masculine, il nous montre aussi comment chaque « sexe » invente une réponse à un défaut de structure, à un trou : le non rapport entre les sexes. Chacun se trouve confronté à devoir inventer une réponse à ce trou auquel il est confronté.

Pour traiter la jouissance masculine, Lacan s’appuie sur une innovation historique, l’amour courtois (spécialement sur les livres d’Etienne Gilson, La théologie mystique de saint Bernard, celui de Denis de Rougemont, L’amour en Occcident, et celui d’Anders Nygren, Eros et Agapè) ; et pour traiter de la jouissance féminine, il s’appuie sur les textes des mystique, Hadewijch d’Anvers, sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, et d’autres encore.

shéma sexuation lacan
J. Lacan, Formules de la sexuation, Le Séminaire, Livre XX (1972-1973), Encore, leçon du 13 mars 1973, Paris, Le Seuil.

Il nous montre en quoi cette jouissance mystique répond à un défaut de structure : le non-rapport sexuel. La distinction des structures de jouissance est fonction de la distinction des réponses de jouissance eu égard à un absence du rapport sexuel à laquelle ils sont confrontés : Continuer de lire « Sainte Thérèse d’Avila, Le livre de la vie, séance 2 »

Ce mardi 7 juin, Mysticisme athée & Paul Celan et Anselm Kiefer

Chers, Ce mardi 7 juin à 20h, au local de l’ACF, 16 rue Defacqz, aura lieu le dernier séminaire de cette année. Katty Langelez parlera de mysticisme sans Dieu. Je parlerai de Paul Celan et de Anselm Kiefer. Voici les arguments. A demain, Jean-Claude Encalado Mystique athée Partant du trajet de Philippe Mengue, philosophe et sportif, qui a voulu faire se rejoindre deux pans à … Continuer de lire Ce mardi 7 juin, Mysticisme athée & Paul Celan et Anselm Kiefer

Mark Rothko ~ Une toile recouvre un néant d’être – Partie 2/2

Rothko-Mural

IV. Un tableau contient une part de son être
Le problème de l’exposition des toiles
— Le spectateur, l’individu
— Fra Angelico et la communauté
V. Le succès
1957, The Four Seasons et la colère
1961, Rétrospective au MoMA
1960, De la Janis Gallery à la Marlborough Gallery
1965, The Houston Chapel
VI. 25 février 1970, le suicide

[LIRE ICI LA PREMIÈRE PARTIE DU TEXTE]

IV.    Un tableau contient une part de son être

Car, cette surface vibrante qu’il pose à la surface de la toile, vit de ce qu’elle contient une part de son être : « Je voulais me reconnaître dans mon œuvre.  Quand je me reconnais dans mon œuvre, alors je réalise qu’elle est terminée. »[i]

De nombreux témoignages de ses amis vont dans ce sens.  Stanley Kunitz pose un pas de plus qui  souligne une touche mélancolique de Rothko : « Je pense qu’il y avait un grand vide au centre de son être. »[ii] Motherwell souligne ce manque également et sa consolation par l’image : « Il était indifférent aux objets, au confort. Il était cependant physiquement agité, comme s’il était agité par quelque manque (lack). Sa grande source de consolation, c’était ses peintures qui maintenant créaient une image de lui-même en laquelle il pouvait se reconnaître. »[iii] Pour Morrow, c’est plus clair encore, une toile de Rothko, c’est un morceau de peau : « Ses peintures étaient sa propre peau pendue au mur. C’était des morceaux de vie qui ne pouvaient être comme ça, simplement échangés ou simplement oubliés. »[iv]

Continuer de lire « Mark Rothko ~ Une toile recouvre un néant d’être – Partie 2/2 »

Mark Rothko ~ Une toile recouvre un néant d’être – Partie 1/2

Henry Elkman, Rothko dans son studio de la 53e Avenue à New York
Henry Elkman, Rothko dans son studio de la 53e Avenue à New York

I. Être à partir de rien
II. Un nouvel aspect du mythe archaïque
III. L’échelle des sentiments humains

I.       Être à partir de rien

 

Mark Rothko, Markus Rothkovitch, nait en Russie, en 1903, dans une famille juive sécularisée[i]. Son oncle d’abord, son père ensuite quitteront le pays pour vivre aux Etats-Unis. Quelques mois plus tard, le reste de la famille les rejoindra à Portland. Mais six mois après leur arrivée, son père meurt. Markus a neuf ans, et vivra son enfance dans une relative pauvreté.

Bon étudiant, il aurait pu se lancer dans des études d’avocat ou d’ingénieur. Il aurait pu devenir acteur de théâtre. Il aurait pu être musicien. Il ne choisira aucune de ces options.

En 1923, il prend sa décision : « Un jour, j’entre dans une classe d’art, pour rejoindre un ami qui suivait ces cours. Tous les étudiants dessinaient des esquisses d’un modèle nu, et right away, aussitôt, je décidai que c’était cela que je voulais faireand decided that was the life for me. »[ii] Il se sent en accord avec les « valeurs sensuelles et émotionnelles de l’art plus qu’avec les valeurs sans âme, soulless, de l’existence matérielle d’un avocat ou d’un ingénieur ».[iii].

L’art devient alors pour lui une « vocation sacrée »[iv] et pendant toutes ces années, il s’impose une discipline de pauvreté, de faim et de solitude :

Je devais devenir un grand peintre parce que j’avais trouvé une façon de vivre pendant trois jours avec une boîte de sardines, une miche de pain et une bouteille de lait que j’avais volée sur le palier d’un voisin.[v]

Épinglons ça. Devenir artiste, être peintre, vivre avec peu, vivre avec rien. Être à partir de rien.

Continuer de lire « Mark Rothko ~ Une toile recouvre un néant d’être – Partie 1/2 »

Demain, 3 mai, Marie-Claude Lacroix et Rachida Naimi interviendront sur la mystique arabo-musulmane

Mardi 3 mai, Marie-Claude Lacroix et Rachida Naimi interviendront sur la mystique arabo-musulmane. Jusqu’à présent, nous nous sommes cantonnés à la mystique chrétienne, en suivant les mystiques que Lacan citait dans son séminaire  Encore  : Angèle de Foligno, sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, etc. Et Marie Françoise Demunck nous a parlé de Jeanne Guyon, qui s’en distingue. La mystique chrétienne, comme son … Continuer de lire Demain, 3 mai, Marie-Claude Lacroix et Rachida Naimi interviendront sur la mystique arabo-musulmane

Sainte Thérèse d’Avila, Le livre de la vie – I

l'extase de sainte therse le bernin-1024x768

[Séance du 3 novembre 2015]

 

Ce que je vise, c’est  l’invention esthétique (qui traite les sens), pragmatique (qui passe par un faire) et sinthomatique (qui stabilise le nœud du sujet) au cœur de l’expérience des artistes et de celle des mystiques.

J’ai d’abord interrogé les artistes, aujourd’hui les mystiques, tenaillé par la même question : quelles ont été leurs inventions, quelles ont été leurs trouvailles, et en quoi ces trouvailles venaient à  «traiter » quelque chose.

Les années précédentes, nous avons travaillé, et nous nous sommes laissés travailler par Antonin Artaud, Francis Bacon, Samuel Beckett, Maurice Blanchot, Pascal Dusapin, Stéphane Mallarmé, Clarice Lispector, Catherine Millet, Amélie Nothomb, Sylvia Plath, Francis Ponge, Barbara Pym, Alexande Scriabine, Virginia Woolf, etc. Avec Jean-Louis Aucremanne, Léonce Boigelot, Marie Françoise Demunck, Maud Ferauge, Bernard Hubeau, Philippe Hunt, Ginette Michaux, Claire Piette, Jean-Luc Plouvier, Patricia Seunier, Pascale Simonet, Maria Peres Sueli, Thierry Vanden Weyngaert. C’est vous dire que ce séminaire se fait à plusieurs.

L’année dernière, nous nous sommes progressivement tournés vers les femmes, spécialement vers les femmes mystiques, Hadewijch d’Anvers, Angèle de Foligno. Et le mois dernier, ici même, lors la première soirée de l’ACF, nous avons invité Véronique Lévy à venir nous parler de son expérience, qu’elle décrit dans son livre Montre-moi ton visage.

Je me suis tourné vers elles, et nous allons nous tourner vers d’autres, car j’ai constaté que certaines mystiques développaient elles aussi une solution singulière, une invention sinthomatique, qui leur permettait de «tenir» en tant que sujet.

Leur invention singulière nous révèle certains points de la structure subjective autres que ceux auxquels les artistes nous avaient rendus sensibles.

Continuer de lire « Sainte Thérèse d’Avila, Le livre de la vie – I »

Sainte Thérèse d’Avila : du Livre de la vie au Chemin de la Perfection

Antérieur au Chemin de la perfection qui date de 1571 et qui sera le premier livre publié de sainte Thérèse d’Avila, Le livre de la vie, écrit entre 1560 et 1565, n’en était pas un à proprement parler puisqu’il s’agissait d’une commande, d’un rapport que Sainte Thérèse d’Avila a remis à ses différents supérieurs, à ses confesseurs, voire à ses inquisiteurs. Dans ce premier écrit, … Continuer de lire Sainte Thérèse d’Avila : du Livre de la vie au Chemin de la Perfection